Francis REMARK
Editorial de mars 2021
Texte de conclusion des assises psychotraumas, assises organisées le 26 mars 2021 à l’INALCO à Paris, pour demander le retour au ministère des Solidarités et de la Santé de l’évaluation des demandes « étranger malade ».
Ce texte, proposé par moi-même, avec les avis et correctifs de l’ensemble du groupe organisateur, a été lu en duo pour terminer ces assises, par Claire Mestre (le texte en couleur), et par moi-même.
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En conclusion générale, nous voulons formuler les quelques impératifs que nous défendons pour la reconnaissance des pathologies post traumatiques des exilés. Ce faisant, si nous sommes particulièrement mobilisés pour obtenir une restauration non maltraitante des évaluations actuellement réalisées par l’OFII concernant les psychotraumas, nous n’oublions pas les dénis qui touchent aussi tous les autres patients pour les autres pathologies psychiques ou somatiques.
- Premier impératif : Les médecins évaluant des pathologies psychiques ne peuvent privilégier les références de reconnaissance selon la recherche constante de fraude par les patients et les médecins traitants.
Nous souhaitons des relations collégiales propres à notre profession, devant exclure le soupçon de fraude. La vérité du sujet passe par le travail psychothérapeutique.
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- Deuxième impératif : La clinique des psychotraumas des exilés est une clinique qui ne peut se réduire à une clinique de juxtaposition de symptômes quantitatifs, en particulier parce que ce sont des psychotraumas de natures intentionnelles ayant des répercussions, familiales, sur lecadre thérapeutique, et nécessitant une approche pluridisciplinaire prenant en compte toutes les identités d’appartenance des sujets.
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- Troisième impératif : On ne peut négliger les effets contre transférentiels et de transmissions des psychotraumas, effets qui peuvent bloquer l’entendement socio-familial, mais aussi l’entendement des cliniciens qui en arrivent alors à dénier le besoin prioritaire d’une sécurité socio-psychique.
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- Quatrième impératif : On ne peut négliger tous les apports scientifiques des services et centres, universitaires et de recherche, spécialisés en France et ailleurs, et les connaissances accumulées sur le terrain par ces centres, associations, et universités.
Nous affirmons que l’expérience des équipes dans les soins psychiques et psychiatriques ne peut être mise en défaut par l’attente illusoire d’efficacité des formats obligatoires de thérapies brèves pour nombre de situations
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Si on néglige tout ceci, on pratique une psychiatrie de savoir et de pouvoir sur l’autre, les autres, et leurs vies, pratique que l’on rencontre toujours dans l’histoire de la psychiatrie lorsque celle-ci se laisse influencer par des pouvoirs socio-politiques.
Nous affirmons notre position : nous ne sommes ni pour ni contre les étrangers malades, comme nous ne sommes ni pour ni contre l’immigration d’ailleurs. Nous sommes pour la clinique et donc la reconnaissance des étrangers malades, la reconnaissance des situations de détresse psychique et humaine, pour devoir en prendre soin. Et pour cela nous devons veiller à rester référé à l’impartialité.
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Aussi nous proposons d’inscrire la réflexion psychiatrique des soins des étrangers dans une perspective plus large : tenant compte de la longue histoire de la prise en charge des victimes ayant toujours oscillé entre suspicion et reconnaissance.
Cette réflexion se doit d’être éthique et d’être conforme aux conventions signées par la France :
La convention d’Istanbul (2011) qui protège les femmes victimes du refoulement dans leur pays
Le pacte de Marrakech (2018), qui met en exergue le respect de la personne, la protection des personnes vulnérables : enfants et porteuses de souffrance psychiques.
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Et donc, nous avons une première série de revendications :
- Nous demandons le retour au Ministère des Solidarités et de la Santé de la mission d’évaluation du droit de séjour en France des étrangers pour raison médicale.
Les modalités de la mission d’évaluation par les ARS seraient à assurer avec l’aide de compétences reconnaissables pour les pathologies et les formes particulières des pathologies des étrangers. Ceci est particulièrement nécessaire pour les pathologies et souffrances psychiatriques.
Les informations sur les accessibilités et conditions des traitements dans les pays d’origine devraient faire l’objet d’une documentation par les ARS qui peuvent bénéficier des appuis de références (Ministère de la Santé, Associations et structures de soins psychiques spécialisées des étrangers en France, COMEDE, Centre National de Ressources et de Résilience, ONG et Organisations Non Gouvernementales Internationales (ONGI), et aussi les médecins et services des pays étrangers.
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- Nous demandons que l’accessibilité aux demandes de droit de séjour en France pour raison médicale soit inconditionnelle, et toujours possible à toutes périodes du séjour sur le territoire.
- Nous demandons aussi l’augmentation des capacités d’accueil et de soins pour les pathologies des étrangers.
Des moyens de soins psychiques seraient à soutenir et à développer pour les structures du service public, mais aussi particulièrement pour les structures et associations de soins qui se sont adaptées et perfectionnées, avec les prises en charge transculturelles, les prises en charge de la précarité, les prises en charge des victimes de la torture et des violences graves, les prises en compte de l’interprétariat comme faisant partie du processus thérapeutique, les soins en réseau, les soins de groupe familial, les soins pluriels, soins qui doivent s’inscrire nécessairement dans le temps long, même si cela est contradictoire avec l’économisme qui veut des soins brefs.
Pour ces cliniques et soins, nous proposons des réunions sur des situations très complexes avec le souci de la continuité des soins et de la protection des étrangers.
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- Enfin, pour tout cela, nous demandons à être reçus par Monsieur le ministre des Solidarités et de la Santé.
Et en vous remerciant toutes et tous, en espérant vous avoir apporté par ces assises quelques choses de possiblement utile, en vous souhaitant une bonne soirée, un bon week-end, et un printemps de renaissance, nous vous invitons à nous rejoindre dans notre action de défense de la reconnaissance clinique et de soins des souffrances psychiques des exilés, pour travailler à une autre session d’assises pour 2022, car, en effet, nous sommes pour que le monde d’après soit un monde meilleur, plus respectueux des humains, de tous les humains, et de tous nos patients.
Merci
Francis REMARK
PS : Les intervenants étaient en présence à l’INALCO, mais les plus de 300 participants à ces assises l’étaient en distance
L’enregistrement audio et vidéo de ces assises sera réalisé et ensuite disponible sur les sites des associations participantes ou soutenantes : COMEDE, Centre Primo Levi, Ethnotopies, Antigone 24, CN2R, Médecins du Monde, ORSPERE-SAMDARA, INALCO, ODSE, CIMADE, Migrations Santé Alsace, AIEP.